mardi 18 février 2014

Sigmaringen - Pierre Assouline






Julius Stein, le narrateur, est majordome général du château des princes de Hohenzollern, à Sigmaringen en Allemagne. Il est dévoué corps et âme à sa fonction et à la famille d’aristocrates qu’il sert. Il veille à la bonne marche du palais.

Mais en septembre 44, Hitler réquisitionne les lieux pour y installer le gouvernement de Vichy en exil. Avec un certain effarement, Stein regarde donc le maréchal Pétain prendre ses quartiers dans l’auguste demeure, ainsi qu’une troupe plus ou moins hétéroclite de ministres accompagnés de leurs épouses, leurs secrétaires, que suivent quelques personnages au rôle trouble. Certains, persuadés de la victoire imminente du grand Reich de mille ans qui dispose d'armes secrètes, s'affairent à préparer le retour aux affaires sous la direction du président de Brinon, chef de la commission gouvernementale. D'autres, comme le maréchal Pétain ou Laval, considèrent que leur guerre est finie et se morfondent dans un état d'hébétude, presque résignés.

Stein est obsédé par l’idée de tenir son rang et de faire en sorte que le château conserve tout son lustre pour le jour où les Hohenzollern reviendront. A travers le regard de Julius, le lecteur suit les intrigues de cour, les conflits grotesques et les tentatives de renversement des rapports de force d'autant plus vains qu'on sent la fin un peu plus proche chaque jour. L'auteur montre la montée de l'angoisse, l’atmosphère de suspicion généralisée qui gagne rapidement l'ensemble des occupants du château. Il nous montre, entre autres, à quel point ces personnalités ont perdu le sens des réalités. Enjeux de pouvoir, rivalités, faux-semblants, idéologie tonitruante et bassesses.


Parallèlement, Pierre Assouline s'amuse à décrire la vie des domestiques - cela fait penser au film "les Vestiges du jour" avec Anthony Hopkins. L'auteur se penche sur les valeurs d'un milieu pour lequel servir est le seul horizon et qui le fait avec un dévouement et une abnégation dont les circonstances soulignent l'absurdité. Pas une seconde de relâchement pour Julius, pas de concession à l'étiquette. Il sert des gens qu'il n'estime pas et dont il réprouve les actes, mais le fait avec dignité et excellence.

Et, il ne faut pas oublier également une jeune femme, Jeanne Wolfermann, l’intendante du maréchal, qui trouble Julius et le contraint à sortir de sa réserve. On découvre ainsi une histoire d'amour tout en filigrane et en retenue. Mais le romancier ne se contente pas de décrire le quotidien d’hommes célèbres qui séjournent au château. Il s'intéresse aussi à la vie de plus de 2000 civils français expatriés dans la ville : partisans de Vichy, collaborateurs, catholiques intégristes, intellectuels antisémites ou escrocs, ils arrivent pour la plupart sans le sou, sont logés chez l’habitant, errent sans fin dans la ville et cherchent, dans la plus grande confusion, à fuir en Suisse ou ailleurs.

Parmi eux, l'auteur s'intéresse particulièrement au Docteur Destouches, autrement dit Louis-Ferdinand Céline, l'écrivain, pourfendeur des juifs et auteur de pamphlets antisémites, qui apparait ici comme un pauvre hère cherchant à soulager ses semblables en achetant des médicaments pour les malades.
 
Entre roman et Histoire avec un grand H, un livre passionnant et émouvant.

INTERVIEW de Pierre Assouline au sujet de son roman à découvrir ICI !

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